Prendre un enfant par la main by François-Xavier Dillard

Auteur:François-Xavier Dillard [Dillard, François-Xavier]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Belfond
Publié: 2020-09-14T09:19:40+00:00

CHAPITRE 42

Joël Vivier, le directeur de la PJ, frotte sa barbe encore plus vite que d’habitude. Il observe Jeanne, sans rien dire, pendant une grosse minute. Puis il souffle, comme si, d’un seul coup, tout son stress s’échappait par la bouche. Il reprend sa respiration et se lance :

— Un fiasco, Muller, un fiasco monumental. Comment ai-je pu être assez stupide pour vous donner un feu vert sur la base du témoignage d’un malfrat notoire, spécialiste des jeux ! Tout ça à cause de ce maudit chêne !

Il est comme ça, Vivier, on ne comprend pas toujours les méandres de son esprit retors. La commissaire Muller encaisse, les commentaires ne sont rien, ce qu’elle attend, c’est la sanction.

— Tout le monde m’a appelé. Tout le monde, vous m’entendez ! Lorsque mon téléphone sonne, je n’ose même plus décrocher. Il n’y a que le président qui n’ait pas, pour l’instant, pris la peine de m’engueuler. Vous avez… harcelé ces gens, vous les avez insultés. Parmi ces « décérébrés », comme vous les avez appelés, il y avait ce soir-là le directeur de cabinet du ministre de la Justice, avec quelques amis. Il m’a prévenu qu’il n’en resterait pas là. Il veut une tête, il va l’avoir. Et ça ne sera pas la mienne !

Blablabla, vas-y, Vivier, annonce la couleur et qu’on en finisse, pense Muller. Mais elle sait qu’il va prendre son temps, déverser sa colère avec une implacable insistance.

— Et vous savez que le propriétaire, M. Schindler, qui, entre nous soit dit, possède un carnet d’adresses vertigineux, veut porter plainte contre vous pour la dégradation de sa collection de livres anciens ? Mais aussi pour, tenez-vous bien, agression et menaces de mort. Vous entendez ça, Muller ? Vous êtes devenue complètement timbrée, ma pauvre amie.

— Bon oui, j’ai un peu pété les plombs, c’est vrai. Mais je sais que cette ordure est coupable. Vous me connaissez, monsieur, vous savez mes états de service, je me trompe rarement.

— Il suffit d’une fois, et dans les grandes largeurs… J’ai réussi à limiter la casse. Nous allons rembourser les livres. Bien entendu, ils seront retenus sur vos émoluments, nous vous faisons un crédit gratuit, en quelque sorte. Quant à la plainte, eh bien, si vous vous fendez d’une lettre d’excuses, on devrait pouvoir s’en sortir.

Jeanne est estomaquée, une lettre d’excuses… Jamais elle ne fera un truc pareil. On dirait que le directeur de la PJ vient de lire dans son esprit. C’est vrai qu’il la connaît bien.

— Oh, que si, vous allez la faire ! Et maintenant ! Quant à la suite, vous allez rejoindre la brigade de protection des mineurs, vous y serez très bien. Vous connaissez le patron, Herschell, un Alsacien. Un peu rigide mais très sérieux. Vous gardez votre grade, c’est déjà ça. Et, croyez-moi, rien que ça, ça n’a pas été simple. Vous commencez lundi. Ne me remerciez pas… Allez, disparaissez.

En quittant le bureau, Jeanne a l’impression d’être une gamine de dix ans à qui le directeur de l’école primaire vient d’expliquer qu’elle allait devoir rester en retenue pour toute sa vie.

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